LES CHAMPIONS SPORTIFS ET LE TENNIS DE TABLE

par **David** Mar 13 Mai - 1:08

Saviez-vous que l’un des premiers champions du monde de tennis de table n’est autre que l’un des plus grands joueurs de tennis de tous les temps, le Britannique Fred Perry ? Il fut même consacré meilleur pongiste avant d’être considéré comme le tennisman n°1 de son époque, puisqu’il s’imposa aux Championnats du Monde de Budapest en 1929 en battant le grand favori du toumoi : le Hongrois Victor Bama. Son apogée tennistique se situe quant à elle après les années 1930. Vainqueur à Roland-Garros en 1935, à Wimbledon en 1934-35-36, à Forest-Hills (US Open) en 1933-34-36 et à l’open d’Australie en 1934, il reste l’un des quatre seuls joueurs de L’histoire à avoir remporté les quatre toumois du grand-chelem dans leur carrière les trois autres étant Donald Budge, Rod Laver et Roy Emerson). Enfin, il gagna, avec l’équipe de Grande-Bretagne, la coupe Davis en 1933-34-35-36.

Beaucoup diront, fort justement d’ailleurs, que cette performance de F. Perry a été réalisée à une époque où le tennis de table de compétition n’en était encore qu’à ses balbutiements, et que le niveau s’y révélait plutôt faible par rapport à ce qu’il est devenu par la suite. Ceci est un phénomène tout à fait logique : chaque discipline nouvellement créée, quelle qu’elle soit, possède un niveau global assez bas, permettant à des pratiquants d’autres activités d’en atteindre l’élite. En revanche, avec le temps, et donc avec l’évolution des techniques et des stratégies de jeu, il devient de plus en plus difficile de mixer plusieurs sports et d’y figurer au top niveau. Aujourd’hui, il paraîtrait aberrant d’imaginer Pete Sampras au Top 12 mondial de tennis de table, même en ayant passé des heures derrière une table de ping-pong au préalable ; ou encore Jean-Philippe Gatien aux qualifications de Roland-Garros, même avec un bon entraînement de tennis. Chacun de ces deux sports (comme tout sport confirmé, c’est-à-dire ayant un certain nombre d’années d’existence) est arrivé à un tel niveau de sophistication, tant technique que tactique, et de préparation physique spécifique, qu’il n’est absolument plus possible de cumuler les performances mondiales à la fois dans l’un et dans l’autre. Le travail pour atteindre l’élite est tel qu’un champion ne peut plus se consacrer qu’à sa propre discipline.

Cela dit, il reste, bien entendu, tout à fait possible pour un champion d’obtenir un niveau honorable (disons “joueur de club”) dans une autre discipline. Par exemple, au tout début des années 1970, Bjom Borg pratiquait encore le tennis de table et le hockey sur glace à un excellent niveau pour sa catégorie d’âge. D’ailleurs, s’il a abandonné ces deux activités pour devenir le champion de tennis que nous savons, il est flagrant de constater que son coup droit lifté empruntait beaucoup à un geste de pongiste (parfois même le revers comme on le voit sur la photo n°2) et que son revers à deux mains si particulier était inspiré du coup de crosse des hockeyeurs. Dans le même ordre d’idées, on sait aussi que le revers punché à deux mains de Jim Courier ressemble fort à une frappe de base-ball (sport auquel s’adonna également l’Américain).

Toujours en ce qui concerne le mixage tennis / tennis de table, l’anecdote suivante ne manque pas d’intérêt. Le joueur de tennis tchèque Tomas Smid (qui fut notamment 11 ème mondial, 1/4 de finaliste à Roland-Garros et Wimbledon, vainqueur de la coupe Davis avec Lendl, et qui s’imposa dans plusieurs toumois du grand-chelem en double et aux Masters de doubles) a lonjltemps pratiqué le tennis de table dans un club de l’ex-Tchécoslovaquie. A l’adolescence, devant privilégier l’un des deux sports dans lesquels il brillait de façon aussi éclatante, il choisit donc le tennis. Sommé par ses professeurs d’abandonner totalement le ping-pong afin d’éviter les gestes-parasites, il décida ni plus ni moins de changer de main. Ainsi fit-il la carrière décrite ci-dessus en tennis avec la main droite, et atteignit-il parallèlement un bon niveau de pongiste (correspondant à l’élite régionale de son pays) de la main gauche. Fait d’autant plus remarquable que son statut de tennisman professionnel ne lui laissait que peu de temps pour s’entraîner à la petite balle de celluloïd.

Mais bien sûr, ni Borg ni Smid n’ont été champions du monde de tennis de table ; car, même si cela se passait il y a plus de vingt ans, il n’était plus question depuis pas mal de temps de mixer ces deux sports à un tel degré de performance. On peut d’ailleurs estimer que depuis la fin de la deuxième Guerre Mondiale, les niveaux de nombreuses disciplines sportives confirmées ont grimpé en flèche : particulièrement à partir des années 1950. Le dernier survivant des mixages « top-niveau » interdisciplinaires est probablement Henri Pellizza qui figura parmi les meilleurs joueurs de tennis français (il fut classé n°4 français en 1942 et resta presque chaque année dans les dix premiers jusqu’en 1957 ! ) et collectionna les titres de champions de France de badminton (simples en 1939-40-42-43-44, doubles en 1942- 43-44 et doubles mixtes en 1943-44). En 1948, le joueur de tennis tchèque Jaroslav Drobny (devenu plus tard Egyptien, puis Britannique) était finaliste à Roland-Garros pour la deuxième fois (il remporta le toumoi à deux reprises par la suite et une fois Wimbledon) ; cette même année, il faisait également partie de l’équipe olympique de hockey sur glace comme avant-centre (équipe qui fut championne du monde en 1947 et 1949).

Aujourd’hui, le mixage « top-niveau » de plusieurs sports, possible avant (voire parfois pendant) les années 1950, paraît totalement illusoire. Sauf, répétons-le, dans le cas d’une discipline naissante et possédant par conséquent un niveau de compétition encore faible, donc abordable. Tout au plus, certains champions s’adonnent à une activité annexe en tant que « joueurs de clubs ». Les anciens tennismen Ivan Lendl et Mats Wilander pratiquent par exemple le golf à un niveau exceptionnel par rapport au commun des mortels, mais tellement dérisoire comparé à celui de Tiger Woods et autres rois des greens.

Quoi qu’il en soit, vous aurez sans doute observé un phénomène certain : le mixage, ou le passage définitif d’un sport à un autre, se fait le plus souvent au sein d’une même famille d’activités. Dans le cas qui nous intéresse, il s’agit bien sûr des sports ayant pour objectif la frappe d’un projectile (balle, palet, etc.) par un instrument (raquette, crosse, club, etc.) ; ce qui semble témoigner, outre d’un goût personnel pour des jeux apparentés, d’une plus grande facilité à s’adapter quand on possède déjà l’art de la dextérité, même si les gestes et les techniques divergent. Ainsi, l’acquis tennistique de Lendl l’aide à coup sûr à retrouver certaines sensations (toucher de balle) au golf De la même manière, il est plus facile à l’ancien champion de super-cross Jean-Michel Bayle de passer à la course moto ; car même si les façons de piloter n’ont absolument rien à voir, les points communs sont néanmoins plus importants entre une moto de super-cross et une moto de course qu’entre une moto de super-cross et un club de golf Qu’aurait apporté le tennis à Lendl s’il avait voulu devenir pilote par la suite ? Quel avantage Jean-Michel Bayle aurait-il tiré de sa carrière de pilote super-cross s’il s’était lancé dans le golf ?

Cela dit, soyons juste et reconnaissons que certains sportifs d’élite s’adonnent parallèlement à (ou se lancent dans) une activité sans grands liens de parenté avec celle qui les a consacrés. Ce fut par exemple le cas du boxeur Marcel Cerdan (champion du monde des « poids moyens » en 1948) qui exerçait aussi le tennis de table, et que le joumal Miroir-Sprint n°177 du 31 octobre 1948 qualifiait d’ « éclectique » (propos repris et développés par FTT, d’août 1998, p. 40). En 1946, l’ancien pongiste Alex Agopoff, comparant la vitesse d’exécution propre au tennis de table et celle propre à la boxe, avait d’ailleurs déclaré (de manière certes un peu hâtive) : Marcel Cerdan aurait certainement, s’il pratiqualit le tennis. de table, un coup droit très rapide ; réciproquement, Vana serait sans doute doté d’un “punch” fulgurant ; il suffirait à ces deux champions de changer de sport ; leur vitesse resterait la même ». Autre exemple : le coureur cycliste Louison Bobet (vainqueur du Tour de France en 1953-54-55 et champion du monde sur route en 1954) qui fut classé 20 au tennis de table en 1948 (également évoqué dans FFT, août 1998, p. 40). Enfin, l’athlète Daniel Sangouma (ancien recordman du niondc du 4 x 100 m en 1990) se consacre depuis 1996 au squash, évoluant déjà en 3ème série. Mais arrêtons là les exemples, car la liste des champions qui s’adonnent à une autre activité que celle où ils excellent (apparentée ou non), doit néanmoins être assez longue.

Pour conclure, il est bien certain que si Fred Perry fut champion du monde de tennis de table, c’est grâce à ses dons acquis au tennis (qu’il pratiquait bien sûr en priorité). D’ailleurs,,je ne pense pas m’avancer outre mesure en disant que si la plupart des tennismen de son époque (Tilden, Cochet, Lacoste, Borotra, Vines, Crawford ou encore Von Cramm) avaient tous participé aux diverles compétitions internationales de tennis de table, beaucoup d’entre eux auraient tout bonnement inscrit leur nom au palmarès en lieu et place des pongistes consacrés officiellement. Comme elle est loin cette époque de champions polyvalents...